La complainte du sentier












Des mains qui frictionnent un corps et réchauffent un coeur transis, des mains nourricières et charnelles, une main gauche chapardeuse, une main droite qui repose en paix.
Satyajit Ray accorde aux mains des personnages une première importance. Jusqu’à leur faire incarner une âme en partance.

Paresseuse, pourquoi t’entêtes-tu à attendre la pluie ?

La journée s’achève. L’eau du saint étang s’assombrit. Elle ne rit et ne chuchote plus. Le ciel a trop bu et gronde son ennui. Les araignées d’eau s’affolent à l’annonce de la grosse averse et les nuages noirs menacent également la quiétude de ton foyer.
Qu’attends-tu, jeune fille, pour rentrer à la maison ?

Paresseuse, pourquoi restes-tu là à danser sous la pluie ?

Le cercle rouge




Le héros melvillien rêve, comme chacun sait, d’Amerique. De Chevrolet. D’holsters et de Colt 45. D’impers et de borsalinos. L’Amérique en noir et blanc des années 50. Une Amérique fantasmée et très personnelle, zen. Lassé de leur rêverie, aspirant à retourner au cosmos, les héros de Melville sont sur le point de se réveiller. Il ne ressemble ni à Bogart ni à Cagney. Il en revêt l’armure, mais il n’est pas incandescent. Il est évanescent. Abstrait. Epuré. Il a également dépassé le stade de la mélancolie, il ne jouit plus de son absence au monde. Souvent mangé par le brouillard et la pluie, cinglé par un vent sec et glacial, le héros melvillien a toujours froid. Il aspire à l’Eveil, à la plénitude, au Nirvana. Débarrassé des passions humaines, il finit toujours bouddhiste.
Dans Le cercle rouge, une rose écarlate offerte au héros annonce sa mort prochaine. A s’en aller, l’écrin Corey n’affiche aucune tristesse. Juste un sourire d’adieu. 
Gian Maria Volonte, lui, incarne une autre figure melvillienne. Remake en couleurs d’un Ventura noir et blanc, Volonte veut en finir avec un cauchemar récurrent chez Melville : cavaler, à perdre haleine, pour échapper à l’enfermement.
Il en va différemment pour Montand qui, après avoir réhabilité sa boîte, meurt d’avoir trop voulu viser. D’être trop minutieux. Trop de professionnalisme menace constamment de tuer l’instinct. Montand est ici une projection de Melville. Melville qui a toujours préféré la sensualité et la précision maniaque du geste à l’instinct mélodramatique du cinéma. L’avarice des sentiments exprimés par ses personnages est en réalité gage de leur fulgurance.
Dans les films de Melville, on s’éclipse en silence, on se réveille sans souffrir. Avant de vouloir rêver à nouveau. D’histoires d’honneur et d’amitié. D’histoires d’amour esquissées. Esquissées par des regards, autrement dit des frôlements d’âmes. D’histoires en noir et blanc, entre des flics et des truands. D’histoires de résistants. D’histoires révolues.

L'intendant Sansho



Dans un étang gelé,
une âme et des pieds nus,
un coeur qui s'endort,
un murmure dans l'eau
et la forêt qui s'est tue...
De son trépas,
la lune n'éclaire plus
que le sillage d'Anju...

La passion de Marc Antoine






Le Cleopatre/Marc Antoine de Milius n'a rien du couple hollywoodien glamour et bienséant vendu jusque là. Son Cleopatre/Marc Antoine est friand de partouzes géantes. Tandis qu'Octave, futur Auguste, est occupé à essayer de "moraliser" les moeurs des Romains. De préparer ainsi le terrain pour les futurs chrétiens. De préparer au sexe réprimé et opprimé. Mono à toutes les sauces : monothéiste, monogame, monotone. Le triumvir de Rome et la dernière reine d'Egypte, eux, baisent dans chaque recoin de leur palais d'Alexandrie. Contre chacune de ses colonnes papyriformes. Débarrassés de l'apparat royal. Lui, en gypsy magnifique, des bijoux plein la poitrine, fardé et voilé à l'oriental. Elle, en sauvage amazone. Jouant au tir à l'arc aux dépens de ses conseillers. Ambiance orgiaque très fellinien. Fin dynastique. Avant ce fameux double suicide, désaccordé. A l'épée romaine et à l'aspic égyptien.

Le corps de Marc Antoine





Pregnant chez Milius, le corps signe l'appartenance de son locataire à une tribu, un peuple, une vengeance, une mission, mieux, à une âme soeur. Toujours dédicacé. Celui de Marc Antoine, très shakespearien, était tout dédié à Cleopatre. Marqué d'un serpent, côté coeur. Jusqu'à la main qui la caressait. Le corps de Marc Antoine, décadent et grimé, était le temple de Cleopatre. La dernière reine d'Egypte en avait fait son temple érotique, son temple païen. Le corps autrefois romain n'était pas aussi sensuel. Vorenus aura beau redonner à Marc Antoine son corps d'origine en le revêtant de son armure romaine, en le statufiant, en le théatralisant, les larmes et les baisers de Cleopatre viendront lui rendre son corps de coeur. Son corps aimant. Son corps amant. Et presque lui donner une seconde vie. Avant que la petite reine d'Egypte n'offre à l'aspic son corps à elle.

Dellamorte dellamore Anna Terzi



S'offrir est mourir un peu...
De s'abandonner dans les bras de Carlo Giordani, Anna Terzi se soustrait davantage du monde.
Ses lèvres ont beau faire mine de dire oui, ses yeux sont muets. Eteints, insondables. Des trous noirs auxquels il serait néanmoins fabuleux de s'y perdre. Des yeux qui ne réfléchissent plus la lumière, ni son partenaire. Sa bouche, qui n'expire plus, mime aussi la mort. Fusse-t-elle glamour et mélancolique.
Finita la dolce vita d'Il sorpasso.
Argento filme la mort même quand ses personnages font l'amour ou s'apprêtent à le faire. Argento tue son actrice sans tuer physiquement son personnage. Ni sa beauté. L'effrontée s'en est allée...

Catherine Spaak dans Le chat à neuf queues.

Le giallo s'affiche



... dans son format d'origine...

L'impératrice Yang Kwei-Fei






Un coeur lourd qui, dans un palais endormi, enfin se tait. Une voix amante qui depuis longtemps s'était tue. Deux rires à l'unisson, deux rires d'outre-tombe incarnant deux âmes flottantes, deux âmes en liberté. Le cosmos en est tout chose. Ainsi s'achève le film de Mizoguchi. Et l'histoire terrestre de l'empereur Hsuan Tsung et de sa favorite Yang Kwei-Fei. Renommée pour sa délicieuse peau au lait, la gamine Machiko Kyo, après avoir incarné une princesse Nô fantômatique dans Les contes de la lune vague après la pluie, prête cette fois sa voix, et son âme, à une concubine de Chine. Concubine à la vie, impératrice à la mort.
Refuge des âmes en peine, paradis des coeurs empêchés, l'au-delà de Mizoguchi, d'une exemplaire galanterie, accueille ses héroines toujours en premier.

Mademoiselle Oyu



Oyu-sama ne déroge pas aux autres Mizoguchi : il coule comme une rivière au milieu de cerisiers volages et immaculés. Et la rivière s'écoule comme un long sanglot. Si pour la fragile Oshizu, percer le secret du coeur d'Oyu était à l'origine de son sacrifice, percer le secret du coeur du spectateur était le pouvoir et le génie de Kenji Mizoguchi.

Dellamorte Dellamore Anna




Repose en paix...

Little Beautiful Woman



1868- Washita
1968- My Lai

La mort de Rayon de soleil, et celle de notre fils, dans la neige. Abattus par un soldat de Custer. Je vais rater Little Big Horn, mais moi, je meurs avec eux. L'histoire aurait du s'arrêter là, Monsieur Penn.
Dans Little Big Man, Arthur ne filme pas seulement un massacre de Cheyennes orchestré par ce salaud de Custer. Il met aussi en scène le massacre des villageois vietnamiens de My Lai organisé par le salaud de Calley.

1876- Little Big Horn pour Custer.
1974- après une condamnation à la prison à vie, une libération très anticipée pour Calley.

Foutu monde.



M





Du meurtre des deux fillettes dans M le maudit, Lang ne montre rien tout en montrant beaucoup plus : deux ballons vagabonds, deux ballons orphelins...





La charge érotique


Le Dracula de Coppola ne se nourrit pas tant du sang des vierges que de leurs rêves érotiques.
C'est sous la forme d'un loup-garou qu'il va, une nuit d'orage, combler ceux de Lucy. Seront ainsi pleinement assouvis ses désirs de pénétrations sauvages et de chevauchées fantastiques.
"J'ai encore le goût de son sang dans la bouche", Lucy a beau faire mine de s'en offusquer, le vampire ne pénétre ses victimes que s'il y est invité. C'est bien connu aussi, Dracula n'éjacule que du sang. Celles qui ont l'honneur d'y goûter sont triées sur le volet. Le sang de Dracula, il est vrai, est délétère, le vampire de ces dames ne le dispense pas à la légère. A défaut de donner la vie, il abreuve d'une jouvence éternelle celles qui ont la chance d'en être investi. Vite épuisée, la scandaleuse Lucy va pouvoir rejoindre la liste très select des fiancées du maître.
Dracula cependant n'a pas traversé les océans pour assouvir un vulgaire désir. Le Dracula de Coppola ne rêve que de conquérir Mina, réincarnation de son épouse bien-aimée Elisabeta, cause de nombreux empalements. Vite conquise, la douce Mina qui n'en peut plus d'attendre suppliera son prince charmant de pouvoir consommer son précieux breuvage. Et réciproquement !
Loin d'être édulcoré dans son propos et ses images, ce Dracula là ne réprime en rien les effusions de désir et de jouissance sanguine. Lucy s'emparant d'une dague avec envie en pensant à un phallus, shoot masturbatoire d'un de ses prétendants, Mina brûlante de désir sur un mont de Transylvanie, Mina et Lucy se donnant un baiser comme préliminaire à la venue de Dracula, comptent parmi les plus mémorables. Le film de Coppola, s'il ne cesse d'enchanter le regard par ses visions somptueuses, provoque une véritable ivresse charnelle. Formellement promise dans ce mouvement de balancier aérien quand Dracula débarque à Londres et s'annonce auprès de Mina et Lucy, se délectant de leur flirt sous la pluie. Se délecter est bien ce qui définit ici le plaisir du spectateur.
De voir une Mina dévaler en nuisette hyaline les marches d'un manoir tandis que les fiancées de Dracula sont toutes occupées à pomper le sang (et sans doute pas que) de ce nigaud de Jonathan.
De voir sur pellicule des coeurs qui palpitent, des corps concupiscents qui ardemment désirent s'affranchir des carcans.
De voir finalement une histoire d'amour fou rejoindre une geste érotique, celle d'une jeune victorienne rêvant de levrettes.

Les griffes de la nuit









C'est le plan emblématique du cinéma de Murnau : une main maligne, des griffes qui enserrent un coeur pur. Il décline une volonté tyrannique de posséder. Une séquence placée successivement sous le sceau de la peur, de la fascination, de l'oubli extatique et de l'abandon. 
Davantage qu'un plan de cinéma, un vertigineux pressentiment.

Le commandement de Kong


Pas touche. On ne convoite point la chérie de son voisin...

La colère de Kong


Kong découvre New York et ses dinosaures. Kong veut retrouver sa bien-aîmée. Kong apprend aux bus et aux blondes à voler.

Une faille dans le cosmos



En ce jour électrique, les nuages souffrent de ta grave mélancolie, et la nuit qui gronde n'empêche pas les âmes solitaires de dormir,
En ce jour fatidique, tes enfants déambulent comme à leur habitude, et le temps qui bégaie ne veut pas les voir partir.
En ce jour funèbre, deux électrons libres ont rendez-vous avec le cosmos, et ont hâte de s'enfuir.
En ce jour si beau et si affreux, très fragiles sont tes enfants en porcelaine, et ta douce mélodie vient bercer ceux qui vont mourir.
A la fin de ce jour d'apocalypse, le soleil et la lune, à nouveau, te saluent.