Nation vampire


Christopher Walken incarne Franck White, comme Max Shreck incarnait Nosferatu. Au coeur du film de Ferrara, l'extrait du film de Murnau confirme la parenté des deux oeuvres (film de vampire expressionniste) et des deux personnages (mort et vivant).
Au début du film, Franck White sort d'une longue peine d'enfermement. Il n'est plus le vampire qu'il était. Blanc comme un cadavre exsangue, Franck White a besoin de sang pour être réanimé. Afin de construire un hôpital pour enfants, il retrouve donc les siens : ses deux superbes gardes du corps, prêtes au sacrifice pour le protéger (rappelant les fiancées du célèbre comte), et sa meute (ses enfants) qui attendaient son retour pour reconquérir les territoires perdus ou laissés vacants. Le sang va à nouveau couler, à flots. Il sera pluri-ethnique : colombien, chinois, italien. Et irlandais.
Le film de Ferrara offre des filles aux seins nus qui dansent frénétiquement sur "Am I black enough for you ?", un ballet orgiaque de corps secoués par l'impact de munitions de gros calibres, une poursuite effrénée et irréelle dans les rues bleutées et électriques de New York. Avant de se conclure dans un terrain vague, dans un cimetière, dans le métro, et finalement dans un taxi.
Juste avant l'aube.

Massacre à la tronçonneuse


Le film s'ouvre sur des tombes qu'on profane. L'auteur prend des photos, comme des trophées. Des tombes profanées, sera érigée une sculpture grotesque. Un tribu pour quelle divinité maléfique ?
Le film se clôt sur un gros caprice, celui de Leatherface qui voit s'échapper la seule survivante du massacre.
Entre les deux, une mise en abîme de l'humanité telle qu'on n'en a jamais vu sur un écran.
On ne sort pas indemne de Massacre à la tronçonneuse. On en sort comme du plus effroyable des cauchemars. Car il n'est pas d'expérience sensorielle fictive plus traumatisante et plus viscerale que celle provoquée par le film de Tobe Hooper. L'horreur et la folie qui y sont dépeintes sont tout autant sonores et épidermiques que visuelles. A cela, il faut y ajouter l'odeur nauséeuse et nauséabonde dégagée ainsi que le dégoût engendré par les images du film. 
Texas Chainsaw Massacre, avant tout, parle d'apocalypse. Une apocalypse du corps et du décor. Des corps soumis aux pires dégradations, aux pires martyrs, aux pires dénis : pendu vivant à un crochet de boucher (le clou du film), découpé comme de la viande de boucherie, abattu à coups de massue. Des corps jamais tout à fait morts, comme s'il fallait prolonger leur calvaire : un corps qui ressuscite dans un dernier sursaut, pour s'évader d'un frigo, un corps qui s'agite dans un dernier tremblement, un corps en décomposition qui ne veut pas mourir. Des décors souillés, gagnés par le pourrissement, ruinés ; un décorum tout entier dédié au macabre, à Thanatos.
Une apocalypse des esprits aussi. Dégénérés et déliquescents. Le visage d'une certaine Amérique.

Evil dead 2


Ou comment faire de Bruce Campbell, le temps d'un film inouï, un véritable cartoon vivant, aux prises avec un démon-caméra, avec une main (la sienne) qui lui joue des tours, lui fait un doigt, qui prend la tangente, avec son reflet dans un miroir, avec le mobilier d'une cabane, avec la locataire de sa cave, en l'occurence une grosse mémère toute pourrie, avec un démon arboricole, avec un vortex temporel qui le conduira à devenir un héros médiéval.
Ou comment Raimi réinvente le cinéma en réinventant le soleil, le ciel, les nuages, la nuit, la lune, le brouillard, les couleurs, les arbres, les cabanes, les ponts, les routes, les corps, les lampes, les miroirs, en animant l'inanimé, en redonnant vie aux cadavres sans tête, aux cerfs empaillés, en rendant autonome une tête décapitée ou une main amputée.
Ou comment Raimi, en offrant au spectateur un objet filmique (et volant) non identifié, entendait alors être tout puissant.

Le jour de Bub


Romero, on le sait, aime ses zombies. Il les chouchoute. Davantage que les vivants qui, ici, ont trouvé comme dernier refuge un silo à missiles !
Le premier zombie de Day of the dead n'invitait pourtant guère à la sympathie. Filmé en contre-plongée, il est l'avant-garde d'une armée de morts-vivants répondant à l'appel d'une équipe d'exploration. Les morts-vivants sont partout. Les survivants nulle part. Les caïmans sont dans la ville, en paix avec les cadavres ambulants. 
Bub, le zombie "domestiqué" de Day of the dead, est quant à lui l'âme et la raison d'être du film de Romero. C'est un beau personnage de cinéma. Car Bub a une lueur magnifique dans le regard, celle d'un enfant qui s'éveille à la vie. Bub se rappelle qu'il fut autrefois autre chose qu'un monstre maladroit et abruti. Quelqu'un qui savait lire, qui aimait la musique, qui savait saluer. Mais aussi qui savait manipuler une arme, et s'en servir.



Et Bub, dans la plus belle scène du film, de tendre au cadavre de son ancien maître la chaîne dont il vient de se libérer, avant de se mettre à exprimer la détresse et la tristesse. Puis de se rappeler la colère et le désir de vengeance. Bub vient de concevoir la mort. Et donc la vie.


Shaun of the dead


En chaque vivant britannique, sommeille un zombie. Démarche zombiesque après un réveil difficile, imitation grandiloquente et tordante, prostrations et vagues à l'âme, râles zombiesques dans un interphone, vivants déjà morts (les clients et le patron d'un pub, les clients et les caissières d'un supermarché, les jeunes dans la rue, les passagers d'un bus). Alors que l'invasion a déjà commencé, dans le pays, autour de lui, Shaun mettra longtemps à voir la différence. Les zombies de sa majesté sont plus sympas et plus drôles que les zombies yankees.
Et lorsque le zombie apparaît, le britannique se libère, s'affranchit des règles de conduite (t'es conscient que c'est limité à 30 ?) sans toutefois oublier ses bonnes vieilles manières : il n'oublie pas le tea time ; il s'arrête après avoir renversé un piéton (déjà mort, Dieu soit loué).

Tu viens faire quoi ?
Te mettre à l'abri.
On l'était avant ton arrivée.
Tu crois çà ?
Ils étaient deux avant. Ils sont combien maintenant ?
Plein.

L'anglais est toujours princier avec les dames, mais ses plans sont toujours foireux. Pour un anglais en proie à l'invasion, il n'y a pas d'autre refuge possible que son lieu de consommation fétiche, son pub favori, "un lieu sûr et familier" : pour connaître les issues et pouvoir fumer.
Le plan de Shaun ne fera pas long feu (sa petite copine ne manquera pas d'être étonnée à l'annonce d'un plan) car le mort-vivant n'oublie pas également ses vieilles habitudes.




Mais l'anglais n'a jamais dit son dernier mot, l'anglais, on le sait, est sournois, calculateur, et rusé, davantage que le yankee qui abuse des armes de destruction massive pour venir à bout des envahisseurs encerclant son lieu de consommation préféré (un centre commercial géant). L'anglais préfère user de la queue de billard sur du Queen que déployer le fusil d'assaut sur des Goblins.
Avant de se lancer, l'anglais ne peut s'empêcher de répéter :

On secoue les bras. On s'assouplit. Observez bien le mouvement. Ils clopinent comme des somnambules. Le regard est triste, un peu tristounet. Comme l'ivrogne hébété. On essaie, Liz. Bien, surtout la voix. Excellent, Barbara.
Pardon, j'étais ailleurs.
Tu es mort et tu detestes çà. Bien mieux.
Je le ferai à la première.
C'est la première.
C'est quoi çà.
Vas-y ! Qui t'a nommé roi des zombies ?
Mortel.
Tous ensemble : Un, deux, trois ...

L'anglais peut être pacifiste et ne pas vouloir prendre les armes pour bouter le zombie de son pub, mais il est prêt à tuer la mère d'un rival pour régler une vieille rancune amoureuse :

Elle reviendra. Elle va changer.
C'est ma mère.
C'est un zombie.
Dis pas çà. Touche pas à maman.

L'anglaise ferait n'importe quoi par amour, elle perdrait son bon sens pour récuperer son fiancé aux zombies l'ayant déchiqueté : j'arrive, David.



L'anglais est également fidèle à ses amis, qu'ils soient morts ou vivants, ou les deux ; l'anglais ne renonce jamais à une belle amitié : Shaun sera toujours aux côtés d'Ed, Shaun jouera toujours avec lui aux jeux vidéos.

Montre moi quel zombie tu fais, je te dirais qui tu es.

Soy Cuba


Soy Cuba

Je suis Cuba. Une fois, Colomb débarqua ici. Il écrivit dans son journal : "C'est la terre la plus belle que des yeux d'humains aient contemplée". Merci, Senior Colomb ! Quand vous m'avez vue pour la première fois, je chantais et riais. Je saluai les voiles avec mes palmes. Je crus que vous m'apportiez le bonheur. Je suis Cuba... Mon sucre, les caravelles l'emportaient ... mes larmes, elles les laissaient. Quelle chose étrange que le sucre, Senior Colomb. Que de larmes en lui. Pourtant, il est doux.

Soy Cuba s'ouvre sur une séquence d'inspiration divine, belle à couper le souffle : la caméra survole et explore un paysage de rêve (la mer, des palmiers immaculés) encore vierge, pénètre ensuite, délicatement, dans les terres, parmi les humains. Ces plans liminaires, sublimes et souverains, racontent la Création du monde et la Naissance de la Vie. Une voix off, magnifique, entraîne le spectateur dans un maelström d'images et de plans stupéfiants, au coeur d'un poème hédoniste et panthéiste, décliné en quatre sonnets, emporté par une mise en scène qui a oublié la pesanteur.
Sous couvert d'un film de propagande commandité, Mikhail Kalatozov nous conte un Cuba plein de grâce et de vie, autant dans la misère qui frappe les petites gens, que dans la dolce vita fascinante des touristes ou celle, attachante, des Cubains. Avant de conclure l'une de ses histoires sur un cortège funèbre plein d'émotion dans un plan séquence vertigineux et inoubliable.

Pour tout cela, Soy Cuba est un film précieux et essentiel.

Happy ending



 J'ai pas fait exprès, c'est parti tout seul.

Tout un symbole du cinéma masturbatoire et orgasmique de Tarantino qui, outre des distorsions temporelles créées pour accroître le plaisir du spectateur, provoque aussi des explosions multi-sensorielles. L'un des ses feux d'artifice se déroule au Jackrabbit' Slim, lieu magique et décor de cinéma déjà mythique. Le paradis de Tarantino, selon Tarantino, qui convoque ses nombreuses icônes, ses nombreux fantômes.

Les fictions pulpeuses de Tarantino, c'est le pied intégral.

Blade Runner (version 1982)



J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire, de grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion, j'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C briller dans l'ombre de la porte de Tanahauser. Tous ces moments se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir.

Tout commence par un regard qui renvoie au spectateur ébahi un décor grandiose, personnage et message du film de Ridley Scott.
Dans Blade Runner, de gigantesques cheminées crachent du feu, des dirigeables porteurs de slogans publicitaires vantent l'aventure spatiale et coloniale en planant au-dessus des rues, d'immenses rétro-projecteurs animent les façades des immeubles, des pyramides ocres plantent le décor, des néons envahissent la ville plongée dans une nuit perpétuelle, des voitures étincelantes s'élèvent au-dessus des rues saturées pour cotoyer les gerbes de feu, pour slalomer entre les immeubles et atterrir sur leurs toits, des chants Heike bercent le sommeil de ses habitants, rythmant le jeu de cache cache entre Batty le loup et Deckard le chien.

Kill !


En quelques mots, Tabata résume le propos du film, qui est de dénoncer le monde faux et impitoyable des samouraïs, décrits comme de simples pantins, leur loyauté aveugle ne servant en réalité qu’à asseoir les ambitions personnelles de chefs de clans sans conscience. Le message du réalisateur est clair et sans appel : le code d’honneur des samouraïs est caduque car il n’a aucun sens et la voie du samouraï n’est donc qu’un leurre. 
Kill ! conte les (més)aventures d’un paysan, Tabata Hanjiro dit le bouseux, qui a vendu sa terre pour acheter un sabre et devenir samouraï. Genta, lui-même ancien samouraï, désormais désabusé et yakuza vagabond, essaiera de l’en dissuader.
Campés par Tatsuya Nakadai et Etsushi Takahashi, Genta avec sa gueule de chien battu et Tabata avec sa gueule d’ahuri, forment un duo détonant.
A travers cette fable ironique, Okamoto, comme son aîné Kurosawa dans Les sept samouraïs, désigne le camp du seul véritable vainqueur, celui des paysans (le monde vrai et franc), quand leur fête finale met un terme à l’affrontement entre les deux factions d’un clan, et lors d’une scène hilarante, qui montre Tabata devenir littéralement fou de désir pour une prostituée, qu’il avait dans un premier temps délaissé (parce que trop grimée, parce qu’elle “ne sentait pas assez la terre”), lorsqu’il découvre que ses mains sont en réalité celles d’une ancienne paysanne qui ont déjà tenu une bêche et labouré !
Portée par la fabuleuse balade de Maseru Sato, la pantalonnade se clôt sur l’un des finals les plus beaux, les plus généreux, les plus humanistes de l’histoire du cinéma. Rien de moins.